mardi 4 novembre 2008

Message de Linda

depuis Lafayette, Louisiana - USA

La pièce sans fenêtre était bondée - les rangées de chaises pliables emplies d’adultes de tous âges, certains avec enfants à leur côté, d’autres en tenue médicale, en robes, en jeans et vestes de survêtements. Il y avait des gens alignés le long des murs et debout dans les couloirs. J’entendis une voix proche me dire ‘Prenez un numéro !’ Je tirai un coupon de papier à l’un de ces appareils que l’on trouve dans les boulangeries ou les bureaux de poste. 

Mais c’était jour de vote, ce Lundi 3 Novembre vers 16h20 au bureau de Lafayette.

Je regardai autour de moi, essayant de m’orienter, et cherchai une place le long du mur du fond. Des chauves-souris d’Halloween en papier pendaient du plafond. Il y avait plus de 100 personnes dans la pièce. Quelque chose, ici, était en train de se passer. ‘C’est incroyable !’ murmurai-je en m’appuyant sur mon bout de mur. Mon voisin hocha la tête. Il composait un message sur son téléphone. Apres avoir observé les gens pendant un moment, je fis de même, reportant ce qui se passait dans un message à mes fils et mes amis.

Un homme et une femme âgés, employés aux élections, appelaient les gens cinq à la fois à passer la porte vers un hall. ‘966 à 970’ dit-il, la voix rauque. ‘966 à 970’ répéta-t-elle plus fermement, afin que les gens au fond de la pièce pussent entendre. Je tenais le 087.

Bien que les voix des employés semblassent épuisées, leurs visages paraissaient enfantins et excités. Qui aurait pu le croire, tous ces gens dans cette pièce assemblés pour voter, calmes et sans aucun signe de ressentiment ni d’impatience envers l’attente. Il y avait un bourdonnement d’énergie continu. Des collègues qui se découvraient et se saluaient, des amis qui discutaient brièvement. Je n’entendais pas parler de politique, ni parler beaucoup dans l’ensemble. On ne percevait pas d’appréhension, ni d’étalage d’ego, ni de masques. Je lus de la frayeur sur les visages d’un couple qui arrivait, mais cela ce dissipa avec l’attente. Beaucoup avaient le regard tourné vers l’intérieur, comme s’ils étaient porteurs d’un secret qu’ils ne pouvaient encore pleinement mesurer, ni non plus cacher. Le courant ambiant était extraordinaire. Nous étions comme une grande famille attendant à l’hôpital la naissance d’un bébé.

La machine vint à court de numéro, sans que cela ralentisse quoi que ce soit. Vous joigniez une file dans le hall une fois votre numéro appelé. Je fus conduite à une cabine de vote une heure après mon arrivée. Il y avait à peu prés dix bureaux fonctionnant a plein. L’un des assistants, son beau costume froissé, déclara que plus de 1’400 personnes avaient déjà voté aujourd’hui. Il y avait plus de 200 personnes attendant leur tour, une heure encore avant la fermeture, et ce n’était même pas encore le Jour du Vote.

Lafayette n’est pas une si grande ville que cela.

Je revins à ma voiture en planant. Quelque chose, ici, était en train de se passer.

Alors que je sortais mes clés pour déverrouiller ma portière, je m’aperçus que moins d’un bloc plus loin se tenait le vieux musée, résidence d’un gouverneur aux alentours de 1800, qui, comme beaucoup des descendants Européens de l’époque, possédait des esclaves Africains. Le bâtiment comportait une cuisine et quartier séparés pour les esclaves, à l’arrière. Beaucoup des habitants de Lafayette, comme moi, partagent soit ses gènes soit les gènes de certains des esclaves, ou les deux. Beaucoup portent son nom.

Un grand nombre des votants au bureau d’enregistrement avaient des liens de parenté avec ce gouverneur et avec des gens qui n’avaient pas la liberté de choisir leurs conditions de vie, encore moins celle de voter ou de se présenter à un poste gouvernemental. Bien que cela ait changé depuis longtemps, la division ethnique qui est renégociée selon les jours à travers l’Amérique est encore perceptible.

Je marchai vers le musée, une maison blanche de trois étages. Une brise de fin d’après-midi soufflait ; je touchai l’une des plantes du jardin d’entrée.

Deux blocs suivants, les descendants de ce gouverneur et de ceux qu’il avait ‘possédés’ se tenaient paisiblement côte à côte. Nous tous avions maintenant l’opportunité de voter pour un candidat stellaire a la présidence des Etats-Unis. Il est aussi le premier Américain d’ascendance Africaine à représenter l’un des grands partis pour ce poste.

Quelle chance d’être vivante pour cette élection, d’être ici a Lafayette. Nous attendions pour le vote anticipé, la lumière brillant sur les ombres du passé.