jeudi 1 janvier 2015

Tenshin-Ken, La Pratique et Notre Vrai Moi

Bonne Année !

Alors que nous entamons la nouvelle année, je me réjouis de partager les pensées qui me tiennent à coeur concernant Tenshin-Ken (天真剣).

Cela a beaucoup à voir avec ma philosophie de vie et ma recherche des changements que je crois que nous espérons tous observer dans notre monde. Mais comme à mon habitude, permettez que j’aborde le sujet par la technique !

Tenshin-Ken, La Pratique et Notre Vrai Moi

Comme vous le savez, au Shintaido nous bénéficions d’un large ensemble de formes de kumites regroupées sous l’appellation Kumite Kirioroshi.

Au sein de ce groupe de mouvements, Tenshin-Ken = Daijodan Kirioroshi. Nous coupons à tour de rôle notre partenaire de part en part. Ce mouvement physique élimine les tensions, ouvre les endroits bloqués, et libère notre moi intérieur (“Jiga”). Dans ce processus, ensemble car partenaires, nous atteignons “Muga”, l’unification au-delà du conflit : 1 + 1 = 1

Un poète Japonais célèbre écrivit ce haiku :
shizukasaya iwa ni shimi-iru semi no koe 
“Le silence remplit tout, même la roche. Puis la voix d’une cigale …”
A la lecture de ce haiku, la plupart des Japonais pensent à une belle journée d'été à la campagne.

Mais lorsque Philippe Beauvois, l’un de mes étudiants en France, découvrit ce poème, il en retira une compréhension complètement différente :
Le silence = silence complet, un monde dans lequel les pensées bruyantes et les choses superflues ont été complètement éliminées.
La roche = l’ego qui est replié en soi.
Semi no koe = un message de la nature, Tenshin, finit par pénétrer notre vrai moi
Et donc, en résumé,
“Le silence apaise les bruyantes pensées. Toute chose superflue disparaît, et mon ego est finalement détendu. Entends-tu ? L’univers parle.”

Echapper à Nos Privilèges

Dans la Rakutenkai il y avait deux frères Okada. Tout le monde connaît Mitsuru Okada, qui était membre fondateur de la Rakutenkai et est maintenant Maître Instructeur. Mais beaucoup de gens n’ont jamais entendu parler de son frère cadet, Gan Okada, qui faisait lui aussi partie de l'équipe de base. Avant que je quitte le Japon pour devenir un émissaire du Shintaido dans le monde, je dirigeais le centre du Shintaido à Tokyo dans les années 1970. Nous avions un petit bureau à Shinjuku, et Gan Okada m’aidait {beaucoup} dans la partie relations humaines associée à la conduite de cet office. Comme son frère Mitsuru, Gan conduisait un taxi pour gagner sa vie, et lorsqu’il finissait son travail il venait au bureau, alors que la plupart des gens auraient choisi de manger, de se relaxer ou dormir. Il n’avait pas de savoir-faire particulier tel que comptabilité ou gestion, mais il était formidable avec les gens.

Gan avait vraiment grand coeur, et il se sentait concerné par des choses auxquelles la plupart des gens ne pensaient pas. Il se sentait concerné par les femmes qui étaient exploitées dans le monde souterrain de la prostitution, et il montrait des films documentaires dans l’espace de réunion du Shintaido sur les conditions de vie difficiles des mères célibataires avec leurs enfants. Cela lui tenait tellement à coeur que la police secrète commença à le tenir à l’oeil.

Nous étions tous jeunes, et pour la plupart étions juste fous des arts martiaux. Nous adorions bouger notre corps, et nous aimions les sensations que nous retirions du keiko, cependant nous n’avions pas réellement intégré notre pratique des arts martiaux dans nos coeurs. Mais Gan savait déjà, au plus profond de lui, pourquoi il pratiquait le Shintaido.

Gan aimait cette chanson du chanteur et compositeur Japonais Nobuyasu Okabayashi :
Voici ce dont nous rêvons !
Nous rêvons d’une fin à la peine
Nous rêvons d’une joie inconnue,
Ne nous laissons pas piéger par la peine
Tournons-nous vers la joie inconnue, et volons dans sa direction ! 

Okabayashi travaillait avec des personnes défavorisées, presque au point où certains l’auraient qualifié d'éducateur social. Mais au bout d’un moment il devint connu, et les gens aisés se mirent à assister à ses concerts. Okabayashi alors retourna sa chanson et invita les gens de son public à ne pas se laisser piéger par leur fortune et par leurs privilèges, mais à sortir et aller dans le monde des gens défavorisés.

Gan Okada éprouvait le même sentiment. Dans la Rakutenkai, il nous encourageait toujours à sortir de notre position privilégiée et à partager nos vies avec des gens en difficulté. Bien sûr nul d’entre nous n’avait d’argent, mais nous étions en bonne santé et enthousiasmés par notre pratique. Et la plupart voulaient rester auprès d’Aoki-sensei et pratiquer avec lui, plutôt que de sortir aider le monde. Aussi Gan était-il souvent frustré.

Après mon départ pour les États-Unis, Gan est retourné à son petit village dans la Prefecture d’Aichi. La plus grande ville est Nagoya, mais Gan vivait dans une communauté très rurale. Il subvenait à ses besoins grâce à son taxi, et démarra un centre de soins de jour pour aider les jeunes physiquement et mentalement handicapés.

C'était il y a 35 ans. Il a aidé les gens autour de lui depuis tout ce temps, et est maintenant directeur de l’un des hospices médicalisés les mieux cotés de la Préfecture d’Aichi. Il a vraiment donné corps à son rêve de venir en aide aux gens défavorisés et oubliés ; il l’a fait de son vivant.

Ma Compréhension Actuelle de Tenshin-Ken

Pour parler simplement, l’esprit de Tenshin-Ken peut être exprimé par la phrase italienne “Bella Ciao !” 

Bella Ciao est l’expression d’une passion profonde pour la vie.

Le vidéoclip {Hasta Siempre} de Nathalie Cardone capture ma passion pour restaurer leur pouvoir aux gens autour de nous. Dans cette vidéo une jeune mère avec un enfant en bas âge dans les bras et un fusil sur le dos marche à travers les rues d’un petit village d’Amérique du Sud puis à travers les champs. Elle passe des gens pauvres et désespérés, certains travaillant comme esclaves dans les champs, et ils déposent leurs outils et se joignent à elle.

Ces temps-ci je suis très passionné par l’esprit d’origine du Bushido - le coeur des arts martiaux - qui est au centre de l’oeuvre de ma vie. Alors que le Budo est la technique des arts martiaux telle que nombre d’entre vous l’avez étudiée, le Bushido est beaucoup plus profond.

Pour développer le Shintaido, Aoki-sensei a dépouillé tout l’attrait et l’emballage des arts martiaux, ainsi que leur connexion au Bushido. Il a décidé d’enlever la connexion au Bushido du fait de l’environnement Japonais de l’epoque - les militaires Japonais voulaient utiliser le Budo pour renforcer sa culture.

Aussi Aoki-sensei pratiquait et enseignait une forme et mouvement pure (détachée de son contexte).

La philosophie du Shintaido gravite autour de l’ouverture, la mise à nu et la re-découverte à partir de zéro. C’est pourquoi après avoir pratiqué la forme qu’Aoki-sensei nous a offerte, nous nous trouvons face à la question :
Comment nous défaire de la surface de notre propre pratique (cad. la déconstruire) de manière à trouver notre propre forme et véritable essence ?

Pour moi, le Bushido signifie se tenir à la frontière entre la vie et la mort pour le compte d’autrui. Il nous faut le courage de faire entendre la voix de ceux moins fortunés que nous - et inspirer les gens à se faire entendre eux-mêmes. Cela requiert deux pas - 1) Trouver sa véritable essence personnelle et en tirer force et inspiration et 2) Prendre des mesures pour le permettre à d’autres.

Au Shintaido, Tenshin-Ken devint kirioroshi kumite et nous avons gagné une grande clairvoyance en le pratiquant. Nous avons travaillé dur pour abandonner notre ego et aller au-delà de nous-mêmes. Mais cela peut aussi devenir une sorte d’illumination centrée sur soi-même sans le second pas. Si nous sommes bloqués au premier pas, nous passons à côté du message courageux de la vidéo et de l'opportunité d'être vraiment libre et unifié. Lorsque nous nous levons et clamons “Non!” face à une situation injuste, comme la souffrance des pauvres gens de la vidéo, nous ne sommes plus définis par nos idées de risque et de perte personnels. Notre propre courage émerge, et avec lui notre vrai moi, qui est plus gros que le moi de notre égo.

Le message originel de Tenshin-ken est la capacité de quelqu’un qui est vraiment faible ou se trouve dans une situation injuste de se connecter avec Ten (la Vérité Universelle) pour s’exprimer et changer sa vie. Mon espoir est de ré-infuser ce message originel de Teshin-ken dans le Bushido.

Pour ce faire, nous devons sortir de nos vies confortables et privilégiées, et aller chercher ceux qui sont moins privilégiés que nous le sommes (Deuxième Pas). La question est,
Comment créer un espace qui permette aux autres de trouver leur voix et se faire entendre par eux-mêmes ?

Gan Okada savait très clairement pourquoi il étudiait avec Aoki-sensei : pour développer son sens de la justice sociale. Il a absorbé les valeurs et les pratiques du Shintaido et les a transcrites en actions de justice sociale. Chacun d’entre nous doit trouver un moyen de transcrire ses connaissances en quelque chose qui crée un changement positif dans le monde, et cela en puisant dans ce que nous avons appris au Shintaido.

J'espère que cette fois nous parviendrons à redécouvrir le coeur originel du Bushido.

Je me réjouis de continuer à avancer avec vous en 2015, dans ce nouveau monde de courage et d’espoir.

Haruyoshi Fugaku Ito

1er Janvier 2015

P.S.

Merci beaucoup à Lee Seaman et Tomi Nagai-Rothe qui m’ont permis d’exprimer mon message en Anglais, et à Patrick Bouchaud pour le Français !